Quel avenir pour la Science Ouverte ?

La Science Ouverte est un mouvement intellectuel plaçant l’IST comme un « commun », c’est-à-dire comme une ressource collective. Par conséquent, celle-ci doit être accessible à tous de manière libre et gratuite, au sein de la communauté scientifique, mais aussi du plus grand nombre. L’objectif de ce mouvement est de favoriser la circulation de l’IST et de la science au nom de l’intérêt général, notamment en permettant le partage de l’information et des outils, et leur libre modification en vue d’une réutilisation. La Science Ouverte se place en alternative au système d’édition scientifique actuel, source de nombreuses critiques.

Les problèmes sont en effet nombreux aujourd’hui dans le cadre de la diffusion de la science :

Avant tout, la hausse des coûts de plus en plus élevés des ressources documentaires, provoquée notamment par l’oligopole des grands éditeurs comme Elsevier ou Springer provoque des inégalités fortes entre chercheurs et même structures. La concentration des revues les plus prestigieuses, contrôlés par ces éditeurs provoque l’exclusion des structures les plus modestes qui ne peuvent pas suivre l’inflation des coûts, notamment pour les revues numériques, dans un contexte de réduction des budgets. Par conséquent, ces structures se désabonnent progressivement des ressources les moins prestigieuses pour se concentrer sur les bouquets majeurs, réduisant drastiquement la diversité documentaire, jusqu’au point où elles ne peuvent plus assumer ces coûts et privent ainsi leur communauté de ressources capitales.

Autre problème actuel : la pression sur les chercheurs, notamment autour de la compétitivité qui leur est imposée et des indicateurs bibliométriques qui les poussent à toujours plus publier pour progresser dans leur carrière, parfois au détriment de la qualité de leurs travaux. Cet écueil se cumule avec la remise en question du système de peer-review, ou relecture par les pairs. En effet, un chercheur préfèrera poursuivre ses propres travaux que de relire ceux de ces collègues. Dès lors, il est de plus en plus difficile de trouver des chercheurs acceptant ce travail, ou d’y consacrer le temps nécessaire, tant les enjeux sont élevés et les contraintes, en particulier de temps, strictes.

Que propose la Science Ouverte pour résoudre ces problèmes ?

Alors que le détournement scientifique se développe autour de plateformes comme Sci-hub en réponse à ces difficultés, la Science Ouverte présente l’avantage d’être une solution légale et respectueuse du droit d’auteur.

Elle s’inscrit dans la culture du libre, des outils collaboratifs comme la fondation Wikimédia ou Framasoft et s’appuie particulièrement sur l’essor d’internet et du web social qui permet la participation du plus grand nombre. Afin d’accompagner le développement de la création en ligne sur son volet juridique, les Licences Creative Commons ont été imaginées. Elles poursuivent un double objectif, en protégeant l’auteur et l’esprit de sa création tout en facilitant le partage et la réutilisation de son travail. Leur fonctionnement à base de combinaison de pictogrammes permet de définir simplement les règles pour l’auteur et leur compréhension immédiate par le consommateur.

La Science Ouverte est devenue un enjeu national en France depuis quelques années. De nombreux plans et initiatives ont été lancées, à la fois par l’état, mais aussi par les communautés scientifiques, universitaires, et numériques. Parmi ces projets, on peut citer le mouvement Open Data, inscrit dans la loi pour une République numérique en 2016, qui rend obligatoire la mise en ligne des jeux de données gouvernementales en accès libre. On peut aussi citer DataBnf qui propose les métadonnées reliées aux collections de la Bibliothèque nationale de France ou encore les silos HAL dans le cadre de la recherche universitaire.

La Science Ouverte n’est pas caractérisée par une méthode unique mais regroupe davantage une multitude de solutions et de pratiques. Traditionnellement, on la divise en deux voies principale, la voie verte et la voie dorée. La première correspond à l’auto archivage par le secteur ou sa structure de la publication, sur un silo ouvert comme un gisement HAL par exemple. La voie verte présente l’avantage pour l’auteur de conserver l’intégralité des droits de sa publication et un contrôle total de celle-ci. L’archivage est en outre pérenne, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le cas de l’édition « classique ». Il est d’ailleurs possible pour un auteur de cumuler ces deux modèles d’édition. Dans ce cas, l’éditeur peut imposer une période d’embargo, durant laquelle la publication ne sera pas accessible librement, jusqu’à une période de 6 mois maximum en sciences dures et jusqu’à 12 mois en sciences humaines. A la fin de cet embargo, la publication sera disponible pour tous, librement et gratuitement. La voie verte est aujourd’hui la voie privilégiée dans les politiques publiques, notamment dans les Universités et les services communs de documentation.

La voie dorée de son côté présente plusieurs modèles comme décrit sur le schéma suivant.

Parmi eux, on peut s’attarder sur la subvention, modèle le plus commun de la voie dorée, dans laquelle le paiement se fait en amont pour garantir la gratuité pour la communauté scientifique. Le modèle du freemium quant à lui permet des compromis entre gratuité et coût, la publication en elle-même étant accessible, mais les statistiques associées ou encore la possibilité de télécharger en format .pdf l’article sont soumises à paiement.

Si ses effets restent encore à confirmer sur le long terme, l’Open Science permet selon plusieurs études de meilleurs résultats sur les indicateurs d’évaluation de la recherche comme le h factor. La facilité d’accès et de partage prendrait alors le pas sur le prestige de la revue. Cet effet est toutefois minoré dans le cas des articles soumis à embargo par un éditeur, particulièrement dans les domaines très dynamiques dans lesquels quelques mois peuvent suffire à rendre une publication presque obsolète. L’Open Science permet en outre une meilleure vérification des travaux de recherche grâce à la mise à disposition des jeux de données par exemple permettant de repérer plus facilement les erreurs humaines mais aussi les cas de fraude volontaire.

Malgré tous ces avantages et les moyens mis en place, la Science Ouverte a encore beaucoup de chemin à faire pour s’installer dans le paysage de la recherche française et internationale. Principal obstacle aujourd’hui, la culture scientifique ancrée chez les chercheurs, dans leur perception de la publication scientifique et les pratiques. Aujourd’hui les silos comme HAL pèsent bien peu face à des éditeurs comme Elsevier ou des revues prestigieuses comme Nature ou Science. Ainsi, l’intérêt individuel du chercheur reste encore aujourd’hui de publier sur ces revues plutôt que de favoriser l’Open Access. Le pouvoir économique des éditeurs scientifiques est en outre incomparable avec les budgets publics, et leur force de frappe inégalable.

La situation de l’Open Access en France est également complexe. En effet jusqu’à présent, chaque structure a développé de son côté son silo HAL ou sa solution maison, et la coordination est aujourd’hui relativement peu développée. On peut toutefois souligner une politique nationale mise en place par le ministère de l’Enseignement Supérieur et les différentes instances concernées, notamment au niveau européen, afin d’améliorer la mutualisation des moyens et la cohérence des pratiques.

L’embargo possible sur les publications avant leur mise en accès libre pose aussi plusieurs problèmes : le libre accès est déjà souvent peu encouragé par les éditeurs qui mettent sous pression les chercheurs lors de la rédaction des contrats d’édition. De plus, l’embargo nuit aux avantages de la Science ouverte sur le taux de citation et la circulation de l’information, notamment dans le cas des disciplines très dynamiques

Comme on l’a souvent rappelé, chaque discipline présente des caractéristiques et des contraintes très différentes. Ainsi, la publication en Open Access est très inégale selon les secteurs et les pratiques. De plus, des domaines liés au secret industriel ou à la défense sont par définition peu propices à l’Open Science bien que non antinomiques. La nature des travaux peut également influer : ainsi s’il est possible de publier une grande variété de publications, notamment sur HAL, la politique est davantage pensée pour les articles de recherches et les jeux de données que pour les e-books par exemple, que l’on trouve beaucoup en sciences humaines.

Le développement de la Science Ouverte passera avant tout par un travail de sensibilisation et de pédagogie à destination des chercheurs et futurs chercheurs, notamment les plus jeunes, pour faire évoluer les mentalités. Les professionnels de l’IST ne peuvent pas en effet se battre contre les chercheurs eux-mêmes et doivent réussir à leur montrer les avantages de ce mouvement comparé au système actuel, tout en les accompagnant dans l’exécution technique d’un dépôt sur un silo institutionnel par exemple.

Cette stratégie demande du temps et une vision à long terme, parfois difficile à tenir dans le contexte ultra-concurrentiel du monde de la recherche actuel. Il sera en outre nécessaire de coordonner les efforts et mutualiser moyens et pratiques dans un objectif d’efficacité et de simplification pour les acteurs de l’IST.

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